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« L’islamisme ne veut pas dialoguer avec l’Occident, il veut l’éradiquer » (Kamel Bencheikh, écrivain)

À l’occasion de la sortie de son essai L’islamisme ou la crucifixion de l’Occident. Anatomie d’un renoncement, Kamel Bencheikh, écrivain, poète et militant universaliste franco-algérien, nous explique les grands axes de sa pensée. Pour lui, l’Occident « n’est pas un territoire mais une idée » et sa relation à l’islamisme « ne relève pas du malentendu culturel ou civilisationnnel » car, selon lui, l’islamisme est « un projet global » dont l’objectif final est l’extinction définitives des lumières de la raison pour les remplacer par le dogme. Face à ce péril, Kamel Bencheikh considère qu’il existe un seul rempart : la laïcité. Or, prévient-il, celle-ci fluctue sans cesse au grès des rapports de force entre les défenseurs de la république laïque et les islamistes, leurs sponsors, leurs alliés et leurs relais officiels et officieux. C’est pourquoi il plaide pour une vigilance républicaine permanente et une résistance à toutes les formes de compromission, y compris les plus subtiles, avec cette idéologie des ténèbres.

Vous avez publié récemment un livre sur l’islamisme auquel vous attribuez sans réticence la volonté de crucifier l’Occident. L’islamisme est-il la négation de l’Occident ?

Je le dis sans ambages. L’islamisme, dans toutes ses variantes — des plus violentes aux plus insinuantes — ne cherche pas à coexister avec les valeurs de l’Occident : il cherche à les subvertir, à les dissoudre ou à les abattre. Il ne s’agit pas d’un malentendu culturel ou d’une tension passagère entre traditions. Il s’agit d’un projet politique global, structuré, déterminé, dont l’ambition est clairement énoncée dans les textes, les discours et les actes : instaurer un ordre théocratique où la loi de Dieu supplanterait la souveraineté populaire, où la femme serait inférieure par décret sacré, et où la liberté d’expression, de conscience et de création ne serait plus qu’un souvenir.
L’Occident, tel que je l’entends, n’est pas un territoire mais une idée. Une idée rude, conquise au fil des siècles, faite de lumières, de luttes, de doutes aussi : la liberté individuelle, la séparation du religieux et du politique, l’égalité entre les sexes, la critique des dogmes, le droit de croire, de ne pas croire, de changer de foi. Cette idée est insupportable pour l’islamisme, qui voit dans cette architecture fragile non pas un partenaire à contester ou à questionner, mais un ennemi à crucifier.
L’islamisme n’est pas seulement la négation de l’Occident. Il est la négation de l’humanité libre. Il rêve de soumission. Il travestit la foi en outil de domination. Il infiltre les écoles, les associations, les quartiers, les discours médiatiques, jusqu’à faire passer ses mots pour les nôtres, jusqu’à nous accuser de « stigmatiser » quand nous résistons. C’est une entreprise méthodique de retournement des consciences, et il est temps de le dire sans trembler.
Mon livre est une alerte, mais aussi une espérance. Car tant qu’il restera des voix pour nommer le danger, pour rappeler que la laïcité n’est pas un détail, que les droits des femmes ne sont pas négociables, que la République n’est pas une coquille vide, alors il y aura des raisons de croire que nous pouvons encore, ensemble, sauver ce qui mérite de l’être.
Encore une fois, il ne s’agit pas d’un désaccord culturel, mais d’un projet totalitaire qui rejette tout ce que l’Occident incarne : la liberté individuelle, l’égalité entre les sexes, la laïcité, le droit au doute, à la critique, à la création. L’islamisme ne veut pas dialoguer avec ces valeurs, il veut les éradiquer.
Il avance masqué, infiltré dans les écoles, les associations, les discours. Il veut faire taire ceux qui résistent, culpabiliser ceux qui dénoncent. Mais nous ne céderons pas. Car défendre l’Occident, ce n’est pas défendre une civilisation figée, c’est défendre la possibilité même d’être libre, égal, et debout.

Vous décrivez l’islamisme comme une idéologie nihiliste, prosélyte et agressive et vous alertez les sociétés et les gouvernements occidentaux sur le danger qu’il représente. L’islamisme est à ce point méconnu en Occident ?

Oui, l’islamisme est encore largement méconnu en Occident, et c’est ce qui le rend d’autant plus dangereux. Il avance sous le masque de la foi, mais c’est une idéologie politique, prosélyte, conquérante, profondément nihiliste. Beaucoup refusent encore de le voir, de peur d’être accusés d’amalgames ou par naïveté culturelle. Pourtant, les faits sont là.
La preuve ? Un rapport confidentiel a été remis au ministre de l’Intérieur français, alertant sur la stratégie d’entrisme des Frères musulmans. Une organisation bien structurée, patiente, qui infiltre les associations, les institutions, jusqu’à peser sur les choix politiques et les normes sociales.
Ce n’est pas un fantasme. C’est une offensive idéologique organisée, qui se nourrit de nos lâchetés et de nos silences. Il est temps d’ouvrir les yeux.

Qu’est-ce qui représente un obstacle à la compréhension de l’islamisme en Occident selon vous ? La puissance de plus en plus croissante du lobby islamiste dans les pays occidentaux ou l’amalgame permanent entre islam et islamisme, sournoisement entretenu grâce à l’épouvantail « islamophobie » ?

Les deux jouent un rôle, mais l’obstacle principal réside aujourd’hui dans la puissance financière et politique de l’islamisme, alimentée par les mécènes des pays du Golfe.
Cette idéologie dispose de moyens colossaux : elle finance des mosquées, des écoles, des associations, des influenceurs, des médias. Elle construit patiemment un contre-modèle de société, au cœur même des démocraties occidentales. Ce n’est plus un courant marginal, c’est un projet structuré, internationalisé, qui avance sous couvert de piété mais vise à imposer une norme religieuse totalitaire.
Quant à l’amalgame entre islam et islamisme, il est largement instrumentalisé. Les Français, dans leur immense majorité, savent faire la différence entre les musulmans — dont la foi relève de l’intime — et les islamistes, qui veulent faire de la religion une arme politique. Mais ce discernement est saboté en permanence par un chantage sémantique : l’islamophobie, ce mot-valise créé par les islamistes eux-mêmes pour disqualifier toute critique légitime de leur idéologie.
C’est une arnaque intellectuelle. Une manière de retourner l’accusation contre ceux qui défendent la laïcité, les droits des femmes, la liberté de conscience. Ceux-là deviennent suspects, voire coupables, pendant que l’idéologie qui les menace gagne du terrain. C’est ce renversement qu’il faut déconstruire avec lucidité, courage et constance.
Le véritable danger, ce n’est pas la critique de l’islamisme. C’est l’incapacité à la formuler, tant la peur d’être mal compris ou mal étiqueté paralyse le débat public. Or il est urgent de le mener, car ce que l’islamisme vise, ce n’est pas un ajustement culturel, mais un effondrement civilisationnel.

Vous parlez beaucoup des Frères musulmans qui, contrairement aux autres courants islamistes, agissent souterrainement. Concrètement, comment peut-on lutter contre l’islamisme sous toutes ses formes en Occident ?

Parce qu’ils avancent masqués, les Frères musulmans sont sans doute les plus redoutables. Ils ne crient pas leur haine sur les toits, ils la distillent dans les salles de prière de fortune, dans les associations prétendument culturelles, dans les écoles confessionnelles, dans des réunions feutrées où l’on planifie patiemment l’édification d’une contre-société.
Le salafisme, avec son rigorisme archaïque, fait peur. Le djihadisme ensanglante. Mais le frérisme infiltre, ronge, infiltre encore. Il investit les interstices de la démocratie pour mieux la miner. Il tient un double langage : la paix pour les micros, la conquête pour les cœurs. Il recrute des visages propres, diplômés, éloquents. Il fait élire des maires, des conseillers, des représentants d’associations, et parfois même des enseignants, pour parler à la place des « Musulmans », qu’il essentialise, qu’il enferme.
Face à cela, il ne suffit pas de dissoudre une association ici ou d’expulser un imam là. Il faut affronter le problème à la racine : l’islamisme, c’est d’abord une idéologie. Et comme toute idéologie totalitaire, elle prospère dans les zones d’abandon, dans les territoires perdus de la République, dans les silences complices, les calculs électoralistes, les lâchetés médiatiques.
Concrètement ? Il faut, avec lucidité et sans haine, mener un combat culturel, juridique, politique et éducatif.

  • Culturel, en refusant les relativismes, les capitulations face à la censure islamiste, et en réaffirmant la primauté de l’universel sur les identités communautaires.
  • Juridique, en poursuivant fermement tout discours incitant à la haine, en fermant les lieux de radicalisation, en interdisant les financements étrangers qui servent à imposer une idéologie politique sous couvert de religion.
  • Politique, en cessant de traiter les islamistes comme des interlocuteurs légitimes au nom du « vivre ensemble ». On ne pactise pas avec ceux qui veulent dissoudre la République.
  • Éducatif, surtout, en reconstruisant l’école publique là où elle s’est effondrée, en formant des enseignants solides, en enseignant la laïcité non comme une tolérance molle, mais comme une exigence ferme, et en protégeant les enfants contre les assignations religieuses.
    On ne lutte pas contre l’islamisme avec des sermons, mais avec du courage. Et ce courage doit venir de tous : des élus, des intellectuels, des médias, des citoyens. Il ne s’agit pas de « gérer la diversité », il s’agit de défendre une civilisation.

Ne pensez-vous pas que pour éradiquer l’islamisme, il faut le combattre d’abord dans les pays musulmans où il a fait et fait encore des ravages ?

Bien sûr. L’islamisme ne tombe pas du ciel européen, il est d’abord une plaie ouverte dans les pays musulmans eux-mêmes. C’est là qu’il a pris racine, qu’il a dévasté des vies, détruit des écoles, asservi des femmes, bâillonné des penseurs, corrompu les consciences. L’Algérie, l’Iran, l’Afghanistan, le Soudan, le Pakistan ou plus récemment la Tunisie ont payé le prix fort. Ce sont des terres d’intellectuels, de poètes, de médecins, de cinéastes, qu’on a fait taire au nom d’Allah. Des terres où le Coran est devenu un prétexte pour que des hommes violents imposent leur loi et leur morale.
Mais croire qu’on peut « éradiquer » l’islamisme à la source sans voir les complicités occidentales serait naïf ou hypocrite. Car si l’islamisme est né là-bas, il a été nourri ici. Par les milliards saoudiens qui ont financé des mosquées, des chaînes satellitaires, des écoles coraniques. Par les compromissions diplomatiques avec le Qatar. Par les renoncements politiques face aux réseaux fréristes. Par la lâcheté de certains gouvernements européens qui ont préféré acheter une paix sociale temporaire plutôt que de défendre les principes.
Oui, le combat doit être mené dans les pays musulmans. Mais pas par l’Occident à leur place. Par leurs peuples, leurs femmes, leurs penseurs libres. Notre rôle à nous laïques qui habitons à Paris, Bruxelles ou Berlin est double : cesser de soutenir les régimes qui pactisent avec les islamistes d’un côté, et ne pas importer leur idéologie de l’autre. La liberté ne se parachute pas. Elle se construit. Et elle a besoin qu’on l’aide, non qu’on l’étouffe avec de fausses alliances.
L’islamisme est une internationale. Il faut une internationale des consciences pour lui faire face.

Dans la première partie de votre livre, vous commencez par évoquer la violence religieuse et rappeler les massacres et horreurs commis au nom du christianisme, comme pour dire que la violence est consubstantielle à la religion. Pensez-vous que l’islam peut évoluer et se débarrasser progressivement de la violence exercée en son nom, comme ce fut le cas du christianisme ?

Ce que je dis, c’est qu’aucune religion n’a le monopole de la violence. Le christianisme a connu ses bûchers, ses croisades, ses inquisitions. Il a justifié l’esclavage, béni des armées, soumis des peuples. Mais il a été contraint — sous la pression des Lumières, des révolutions, de la critique philosophique et historique — à séparer le sabre du goupillon. Il a été renvoyé à sa sphère privée. Il a perdu le pouvoir, et c’est là que commence, parfois, la sagesse.
L’islam, lui, n’a pas encore connu cette rupture. Il n’a pas traversé ses Lumières. Il n’a pas affronté un Voltaire, un Diderot, un Spinoza, sans risquer l’exil ou la mort. Il n’a pas encore eu son Érasme entendu, son Luther libre, son Concile d’aggiornamento. Il est toujours, pour beaucoup, confondu avec un ordre politique, un droit, un mode de gouvernement. Et c’est là le cœur du problème : tant qu’on mêlera le sacré et la loi, il y aura des corps à voiler, des femmes à punir, des blasphémateurs à tuer.
Est-ce que l’islam peut évoluer ? Oui. Des penseurs y travaillent, avec courage, souvent dans le silence ou la persécution. Des femmes, des exégètes, des écrivains risquent leur vie pour faire entendre une autre lecture du Coran. Mais ce processus prendra du temps, des ruptures, des désacralisations. Il ne viendra ni de l’extérieur ni d’un décret divin. Il viendra du dedans, par une révolution des esprits et par la volonté des hommes.
Il faudra briser la peur, sortir de l’obsession identitaire, renverser les trônes des clercs. Il faudra que l’islam accepte d’être critiqué, discuté, revisité, même raillé. Comme toutes les autres religions. Il faudra qu’il devienne une foi, non un pouvoir.
L’avenir de l’islam dépend de sa capacité à renoncer à sa nostalgie impériale. Et de la nôtre à ne plus l’excuser au nom d’un relativisme mortifère.

Vous citez Kemal Atatürk comme modèle pour mettre un terme à la mobilisation politique de l’islam dans les pays musulmans. La trajectoire islamiste prise par la Turquie d’Erdogan après un siècle de laïcité n’est-elle pas la preuve que le kémalisme a échouée ?

Non, ce n’est pas la preuve de son échec. C’est, au contraire, la preuve de sa grandeur, de sa nécessité, et de la haine qu’il continue de susciter chez ceux qui veulent faire de l’islam un instrument de domination. Kemal Atatürk n’a pas échoué. Il a bâti, dans les ruines de l’Empire ottoman, une nation moderne, laïque, libérée des chaînes du califat, tournée vers la science, l’égalité entre les sexes, et l’éducation.
En quelques années, il a arraisonné la religion à la sphère privée, remplacé l’arabe par l’alphabet latin, imposé le droit civil contre la charia, interdit les confréries et les turbans, proclamé que la souveraineté appartenait au peuple et non à Dieu. Ce fut un geste titanesque. Radical, oui, parfois autoritaire — mais que fallait-il d’autre pour sortir de mille ans de théocratie ? Atatürk n’a pas seulement modernisé la Turquie. Il a montré au monde musulman que l’islam pouvait être défait de son emprise politique sans être renié dans les consciences.
Le retour en arrière sous Erdogan ne prouve pas l’échec du kémalisme. Il prouve qu’aucune conquête laïque n’est jamais définitive, qu’il faut la défendre pied à pied contre les nostalgies religieuses, les frustrations sociales, les calculs politiques. Erdogan n’a pas détruit Atatürk. Il l’a trahi, grignoté, détourné, parce que l’école, la justice et la presse avaient été affaiblies. Parce qu’on a laissé, trop longtemps, les Frères musulmans turcs travailler dans l’ombre.
Mais regardez bien : le visage d’Atatürk est encore là, partout, dans les foyers, les rues, les manuels, les résistances. Il est dans la mémoire des femmes qui se sont dévoilées, des intellectuels qui ont osé penser librement, des juges qui ont tenté de faire barrage. Il est un avertissement et une promesse. Un phare dans une mer redevenue sombre.
Si tant de dictateurs barbus le haïssent, c’est qu’il a touché juste. Il a prouvé qu’un musulman pouvait être laïque. Et qu’un peuple pouvait vivre libre sans Dieu sur son trône.

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