Jean El Mouhoub Amrouche, né le 7 février 1906 à Ighil Ali (Bejaïa) et mort le 16 avril 1962 à Paris, est un poète, journaliste littéraire et homme politique algéro-français. À l’occasion du cinquante-huitième anniversaire de sa mort, les éditions Frantz Fanon annoncent la parution prochaine d’un recueil de ses conférences inédites sous le titre fort évocateur Je suis un champ de bataille.
Les textes de ce livre, présentés sous forme de conférences un peu partout dans le monde, sont réunis grâce au travail laborieux de Réjane et Pierre Le Baut. Travaillant sur Jean Amrouche depuis des décennies, ce couple affable a réussi à dénicher tous les écrits de l’enfant d’Ighil Ali et à transcrire ses conférences pour en faire un livre et donner à découvrir des facettes jusque-là méconnues de la pensée amrouchienne. Ce livre va sortir juste après la fin « du « confinement », nous informent les éditions Frantz Fanon, avec une préface magistrale de la philosophe agrairienne et spécialistes des questions postcoloniales Seloua Luste Boulbina. Il interroge, nous indique la même source, le colonialisme de l’intérieur et on fait le procès avec une finesse qui restitue toute la complexité culturelle, psychologique, philosophique et historique des contextes coloniaux. « Au delà des identités spécifiques aux Algériens et aux Français qui se sont opposés dans l’ignorance totale de ce que les uns sont ou peuvent être pour les autres, c’est une mise en scène de l’un des épisodes les plus désolant de l’histoire de l’humanité qui s’est déroulé en Algérie : une guerre contre l’homme. À travers les conférences inédites que Réjane et Pierre le Baut ont réunies dans ce livre et qui ont été animées en France, en Italie, au Maroc ou en Tunisie avant et durant la révolution algérienne, Jean Amrouche retrace les itinéraires du colonisateur et du colonisé en mettant la lumière sur les zones de rencontre et les zones de confrontation. Démontrant comment le colonialisme est d’abord la négation des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent la France, il rappelle que c’est au nom de ces mêmes valeurs que les Algériens se sont soulevés pour conquérir leur indépendance et recouvrer leur souveraineté. À travers des mots nus et bouleversants, Jean Amrouche s’emploie dans ce livre, avec une légendaire sincérité, à disqualifier le colonialisme une fois pour toute et à réhabiliter les colonisés dans leur entière humanité, » nous explique les éditions Frantz Fanon.
Dans sa préface, Seloua Luste Boulbina, auteure de plusieurs livres dont Le singe de Kafka, un ouvrage incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à la colonisation , au trauma colonial et aux théories postcoloniales, remet les textes composant ce livre dans le contexte de leur écriture et en donne ensuite une lecture à la lumières des enjeux du présent. « Les textes des conférences de Jean El-Mouhoub Amrouche ici réunis, s’ils peuvent parfois susciter une certaine irritation, témoignent toujours d’une sensibilité et d’une intelligence remarquables. Vus à la lumière du présent, leur langage, classique et suranné, semble rater l’enjeu de l’indépendance au lieu de le saisir pleinement […] Mais Jean Amrouche n’est pas dupe […] Il n’est pas facile d’exister au cœur d’une contradiction. C’est d’être et d’existence qu’il est question. Car ils sont violemment niés. À cet égard, la guerre est la mise en évidence, dans une violence retournée comme un gant, de cette négation à l’œuvre dans tous les aspects d’une colonie, tout particulièrement d’une colonie de peuplement, » écrit elle entre autre. En effet, Seloua Luste Boulbina explique comme, dans un contexte d’une violence implacable, il est difficile de réfléchir sans partialité, chaque individu cessant d’être un antagoniste dans un duel pour devenir lui-même « un champ de bataille ».